
C’était en effet la question centrale posée lors de la conférence-débat organisée par le Cercle de Libre Pensée « La Raison » de Spa le 4 décembre 2015, question à laquelle, dès le début, le Docteur Sonia Gsir, attachée de recherche au Centre d’études de l’ethnicité et des migrations de l’Université de Liège, a annoncé ne pouvoir répondre. En effet, c’est à chacun d’entre nous de se forger sa propre opinion.
Pour ce faire, le Docteur Gsir a donné à l’assistance des éléments juridiques et des données chiffrées afin de répondre aux quatre questions préalablement posées :
Existe-t-il un devoir moral d’accueillir les migrants ? Combien la Belgique peut-elle en recevoir ? Quel est l’impact de leur arrivée sur l’économie, les finances publiques ? Notre culture, notre mode de vie sont-ils menacés par cet afflux ?
Existe-t-il un devoir moral d’accueillir les migrants ?
Pour répondre à cette question, le Docteur Gsir a d’emblée précisé les notions de « migrant » (personne qui quitte volontairement, provisoirement ou de façon permanente, son pays pour aller dans un autre pays) et de « réfugié » (personne qui quitte de manière forcée, en raison de la guerre, de violences ethniques, etc., son pays pour aller dans un autre pays). Les migrants représentent 3,2 % de la population mondiale.
La Belgique étant signataire de la Convention de Genève, il existe donc un droit d’asile dans notre pays, mais pas de droit d’immigration, chaque État ayant la souveraineté sur son territoire.
Combien de réfugiés la Belgique peut-elle recevoir ?

Avant tout, le Docteur Gsir a donné quelques précisions quant à la manière de compter les réfugiés. Pour l’Union européenne, ce sont surtout l’Allemagne et la Hongrie qui en accueillent, le Royaume-Uni recevant peu de demandeurs d’asile. Par rapport à la population totale de l’Union européenne, un réfugié qui arrive représente 1 personne sur 680. Concernant le nombre de premières demandes que la Belgique reçoit, il y en avait 10 211 en 2013, 10 964 en 2014 et 23 334 entre janvier et octobre 2015. Il s’agit donc d’une forte augmentation, tout comme celle du nombre de mineurs non accompagnés (2 350 en 2015). Pourtant, l’année record en termes de nombre de demandeurs d’asile est l’année 2000 (plus de 40 000 demandes). Pour 2015, les pays d’origine des réfugiés sont principalement, dans l’ordre, l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan et la Somalie. Il y a actuellement 29 717 places d’accueil en Belgique, alors qu’il y avait seulement 16 000 places au mois d’août. Le gouvernement fédéral a donc bien travaillé en quelques semaines. Le taux d’occupation est de 97 %.
Les réfugiés ne reçoivent pas d’aide financière : d’une part, il leur est octroyé de l’argent de poche (7,40 € par semaine) ; d’autre part, quand ils travaillent pour entretenir les espaces communs et pour les services communautaires, un « salaire » de 1,30 € par heure leur est versé. L’argent de poche et l’argent reçu en échange de leur travail sont plafonnés, au total, à 150 € par mois. Cet argent leur sert à se déplacer, à acheter d’autres choses à manger ou des cigarettes, par exemple. Quatre mois après leur arrivée, ils peuvent entrer dans le circuit du travail.
Toutes les demandes d’asile ne sont pas acceptées : en 2015, jusqu’à présent, il y a eu 6 350 décisions positives, soit un taux de 59 % de réponses positives. Mais derrière chaque chiffre se trouve un profil individuel, avec son passé, son histoire. Les réfugiés syriens sont des personnes de la classe moyenne, avec un haut degré d’éducation. Leur profil est différent de celui des Italiens des années 50 et 60, qui avaient un faible degré de qualification.
Quel est l’impact de l’arrivée des réfugiés sur l’économie, les finances publiques ?
Un demandeur d’asile coûte 37 € par jour. La plus grosse partie de ce coût concerne des dépenses de personnel, mais il y a également les frais de fonctionnement et d’autres frais. La plupart de ceux-ci sont pris en charge par l’État fédéral, mais aussi par une contribution octroyée par le Fonds européen pour les réfugiés.
Parmi les bénéfices, on peut citer l’occupation de réfugiés sur le marché du travail. Selon une étude de l’O.C.D.E., un migrant qui a un emploi rapporterait 3 500 € par an. Les migrants renforcent la population active et contribuent au progrès technologique, car ceux qui viennent chez nous ont un niveau d’étude élevé.
Notre culture, notre mode de vie sont-ils menacés par cet afflux ?

Dès qu’il est question des migrants, on emploie des mots tels que « menace », « flux », « flot », etc., soit des termes qui ont une connotation liée à une invasion. Parmi les terroristes ayant commis les attaques à Paris, deux sont passés par la « route des Balkans » utilisée par les réfugiés. On ne peut cependant pas en déduire que tous les réfugiés sont une menace.
En matière de culture, la tendance est de considérer qu’il s’agit d’un bloc imperméable, mais c’est faux dans un monde globalisé où Internet est omniprésent. Les identités ne sont pas fixes. On évolue tout le temps et à tout âge. Plus qu’une menace, il s’agit d’un défi à relever en matière de cohabitation.

Après avoir passé en revue ces quatre questions, la parole a été donnée aux personnes présentes. Un débat riche en opinions diverses et souvent passionné a opposé les participants. Pour certains, les réfugiés sont effectivement une menace, car il n’est pas possible de concilier leur culture et la nôtre. De plus, le nombre de migrants sera encore plus important, en raison du regroupement familial et aussi de l’immigration illégale. La main-d’œuvre dans leurs pays d’origine manquera, alors qu’ici, on va les exploiter pour en faire un nouveau prolétariat, sous-payé. De même, les emplois qui seront occupés en Belgique par ces personnes sont des emplois qui ne pourront pas être occupés par des chômeurs belges, qu’on n’arrive déjà pas toujours à payer. Certains des participants se sont également inquiétés du retour des réfugiés syriens dans leur pays d’origine une fois que la stabilisation aura eu lieu. Vont-ils vraiment repartir, comme les Kosovars autrefois ? Enfin, la situation dans certains camps, qui connaissent parfois des exactions reconnues par le H.C.R., inquiète plusieurs personnes. D’autres participants ont tenu à mettre l’accent sur la richesse que ces populations peuvent nous apporter et sur le fait qu’ils seraient eux-mêmes contents de pouvoir être accueillis dans un autre pays si la situation en Belgique le requérait. À toutes ces questions et remarques, le Docteur Gsir a répondu de manière pragmatique et en fonction de ses connaissances, concluant qu’il s’agit d’un défi qui repose entre nos mains, car pour qu’il y ait une « co-intégration », il faut du temps, mais aussi une volonté politique et citoyenne.
Quelle que soit l’opinion de chacun en la matière, cette conférence a justement permis un débat citoyen, premier pas vers une cohabitation plus pacifique.